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La violence est devenue le problème numéro un dans les écoles luxembourgeoises, prévient la psychologue Catherine Verdier, qui pousse un coup de gueule.
La jeunesse devient-elle plus violente? Chacun a son avis sur la question. Pour la ministre de la Justice, d'un point de vue statistique, la réponse est non: "La criminalité juvénile n'a pas augmenté, elle reste stable" expliquait Sam Tanson récemment.
Mais certains tirent néanmoins la sonnette d'alarme. C'est le cas de Catherine Verdier, une psychologue qui a fondé Psy Famille et l'association Amazing Kids, et qui intervient fréquemment auprès des jeunes pour prévenir la violence et le harcèlement sous toutes ses formes.
Son avis est beaucoup moins rassurant: cette violence prend des proportions dramatiques, y compris chez les plus jeunes.
LA VIOLENCE CHEZ LES JEUNES EST-ELLE "STABLE", COMME L'AFFIRME LA MINISTRE DE LA JUSTICE?
Catherine Verdier: Je ne crois pas. Au Luxembourg, comme partout, la violence des jeunes s'amplifie. Elle le fait à l'école, dans la rue, sur les réseaux. Tout le monde le voit, les parents le savent et s'affolent, les enfants se défendent comme ils peuvent, mais beaucoup n'ont d'autres choix que d'être la victime ou l'agresseur.
QU'EST-CE QUI VOUS FAIT DIRE ÇA? APRÈS TOUT, IL N'EXISTE PAS DE RÉELLES STATISTIQUES SUR LE SUJET...
Parce que désormais, dans mes ateliers, il y a 100% des enfants qui sont en contact avec des situations de harcèlement, qu'ils soient victimes ou témoins, ou même agresseurs. Aucun enfant n’échappe à cette violence, et pourtant, le Luxembourg ferme les yeux.

VOUS AVEZ DES EXEMPLES RÉCENTS?
Je pense notamment à cet enfant en fondamental qui a été agressé dans un bus à Wiltz, sur le chemin de l’école. Mais comme ça s'est passé dans un bus, l'école et le ministère ont dit que ce n'était pas leur problème. Mais sinon, c’est un peu toujours la même histoire : un enfant se fait agresser, voler son cartable, déchirer ses affaires... Les parents remarquent alors qu'il y a un problème, et essaient de contacter des professeurs ou d'autres responsables. À ce moment-là, la discussion peut devenir difficile, surtout si le professeur n'a rien vu ou est dans le déni. Souvent aussi, ça se passe à la cantine, mais les dames de la cantine n’ont pas de pouvoir pédagogique pour intervenir en cas d’agression. C’est pareil dans les bus, le chauffeur ne va pas s'arrêter à chaque conflit. Et dans les cours de récréation, les enseignants surveillent théoriquement à tour de rôle la cour de récréation, mais malheureusement certains préfèrent regarder ailleurs...
PENSEZ-VOUS QUE LA VIOLENCE EST LE PROBLÈME NUMÉRO UN DANS LE FONDAMENTAL?
Oui, complètement. La violence des jeunes apparaît de plus en plus tôt. En France, il y a des études là-dessus, contrairement au Luxembourg. Et on apprend q'un enfant sur deux est victime d’actes de violence dès l’âge de 6-7 ans. C'est dramatique.
ET DANS LE SECONDAIRE ?
Hélas, les petits qui ont harcelé dans le fondamental continuent souvent lorsqu’ils arrivent dans le secondaire. Quant aux victimes, certaines deviennent à leur tour des harceleurs dans le secondaire. Car il vaut mieux être dans le camp des forts que dans le camp des "loosers". Et puis à cet âge-là, ils ont accès au smartphone et aux réseaux sociaux, donc ils s’en donnent à cœur joie. Résultat, aujourd'hui, les jeunes ne peuvent plus avoir de répit nulle part, les agresseurs peuvent les harceler du matin au soir, sur les réseaux sociaux comme à l'école. Mais ça, personne ne veut l’entendre au Luxembourg, je prêche dans le désert.
NOS LECTEURS ONT AUSSI DÉNONCÉ LE HARCÈLEMENT DE CERTAINS PROFESSEURS ENVERS DES ÉLÈVES. UN AUTRE TABOU ?
C’est une réalité, effectivement. J'ai entendu des histoires sur des profs qui s'acharnent sur un enfant, et personne ne bouge. Il y a un déni, un immobilisme sur cette violence-là. Or, c'est terrible, car un professeur qui devient harceleur, cela autorise les autres enfants à harceler aussi la victime. D'ailleurs, même si le Luxembourg est un pays très multiculturel, l'école n'est pas toujours aussi bienveillante et inclusive, et on déplore encore beaucoup de racisme dans les écoles...
MAIS IL Y A AUSSI DES ENSEIGNANTS ET DES ÉTABLISSEMENTS QUI SE MOBILISENT CONTRE CETTE VIOLENCE...
Oui, heureusement, et vous avez raison, il faut aussi souligner le positif. Oui j'ai vu des professeurs sensibles à ça. Et certains participent aux concours que j'organise pour lutter contre la violence, et le font sans avoir été formés pour ça, ils se débrouillent tout seuls, c'est magnifique. Il y a des écoles qui ont d'excellentes idées et de très bons projets. Mais il faut dire que ce n’est pas la majorité, hélas, beaucoup d’enseignants ne veulent pas s’embêter avec ça. Désolée, mais je suis très en colère, car il y a vraiment urgence.
FAUT-IL POINTER DU DOIGT LES PARENTS DE CES JEUNES QUI COMMETTENT DES ACTES VIOLENTS ?
Bien sûr, les parents ont un rôle à jouer, car ils sont censés être à la base de l’éducation, mais ils ne sont pas seuls responsables, comme l’école n’est pas seule responsable : on est tous responsables de ce qui est en train de se passer. Il y a par exemple la problématique de la formation des professeurs sur la violence, de la responsabilité de l’école, de la prévention et de l’éducation...
L’ÉDUCATION MODERNE EST ACCUSÉE D'ÊTRE TROP LAXISTE, DE PRODUIRE DES "ENFANTS ROIS"...
Là aussi ,c’est un peu facile. Car la société dans laquelle on vit, elle aussi, montre énormément de violence. Ce qu’on voit à la télé, ce ne sont pas des images où tout le monde s’embrasse et tout le monde est bienveillant. L’actualité véhicule aussi beaucoup d’anxiété, d’incertitude. Donc si les parents ne sont pas capables de contenir, d'encadrer cette anxiété, leurs enfants vont reproduire cette violence. Le fait de parler avec les enfants de ce qu'il se passe, des attentats, du covid, de la guerre, etc., ça fait partie de cette interaction indispensable qu’un parent doit avoir avec ses enfants.
FAUT-IL RENFORCER LES SANCTIONS CONTRE LES MINEURS ?
On n’éduque pas en sanctionnant. On peut mettre un cadre, c’est d'ailleurs à quoi servent les lois, mais est-ce que cette loi va aboutir à une prise de conscience, permettez-moi d'en douter. Je pense qu'il faut responsabiliser les fautifs, qu’ils réfléchissent vraiment à ce qu’ils ont fait, et aussi qu’ils réparent leurs erreurs, par exemple à travers des travaux d’intérêt généraux, etc. La justice n’est pas assez réparatrice selon moi. Il faut remettre au cœur de tout ça l’empathie. Où est-elle passée? Pourquoi cette empathie, qui est là chez tous les bébés dès la naissance, ne cesse de décliner? Un enfant, à la base, veut toujours rendre service, c’est pour ça qu’il propose spontanément son aide à l’adulte, qu’il rapporte des objets tombés, etc. Cette empathie devient trop rare.
ET VOUS, COMMENT GÉREZ-VOUS LES JEUNES HARCELEURS ?
Accrochez-vous bien: je n’ai jamais reçu à mon cabinet de parents avouant que leur enfant était un harceleur. Ça étonne toujours, mais c’est vrai, et c’est terrible. Et pourtant, il n’y a pas que les enfants harcelés qui ont besoin d’aide, les harceleurs aussi ! Car ils souffrent souvent d’une faible estime de soi, d'une faible empathie... Je dirais presque qu’ils ont plus besoin d’aide que les victimes. Mais dès qu'on parle d'aider les agresseurs, on se fait lyncher. Il faut que les camps soient bien marqués : les gentils harcelés et les méchants harceleurs qui doivent être châtiés sur la place publique.
MAIS CONCRÈTEMENT, QUI S’OCCUPE DES HARCELEURS, UNE FOIS QU’ILS SONT IDENTIFIÉS ?
C’est bien ça le problème : ils sont parfois sanctionnés, mais après, on les laisse dans la nature. Il n’y a pas de suivi psychologique qui est proposé, ou c’est très rare. Depuis mars 2022, il y a une loi en France pour aller dans ce sens-là, en proposant un programme pour aider les harceleurs à sortir de cette violence. Mais au Luxembourg, on en est encore très loin...
À lire sur ce sujet:
-> La violence chez les jeunes (1): "Ils ont agressé mon fils", "J'ai été menacé", "Que font les parents ?"
-> "Il se fait embêter à l'école parce qu'il est Russe"