La crise ukrainienne fait aussi des victimes collatérales dans nos écoles: au Luxembourg, un élève est stigmatisé en raison de ses origines russes, raconte un de ses camarades. Nous avons demandé à une psychologue de réagir à ce témoignage.

Le jeudi 24 février dernier, Léo* se rend dans son lycée au Luxembourg.  "Quand je suis arrivé à l'école, je ne savais pas encore que Poutine avait déclaré la guerre à l'Ukraine, raconte-t-il à RTL 5Minutes. Et puis en classe, une personne a dit tout de suite: "On va se prendre une bombe sur la tête".

Léo prend alors conscience que la situation est grave. Comme beaucoup de jeunes, il est choqué et inquiet face à cette soudaine guerre qui éclate en Europe.

Mais sa professeure d'histoire est là, et elle réagit aussitôt: "La prof a dit que non, il n'y aurait pas de bombe sur nos têtes, que c'était un conflit en Ukraine. Mais elle a vu que l'élève ne comprenait pas. Alors elle a décidé de changer son programme et de faire un cours spécialement là-dessus."

"C'ÉTAIT TENDU EN CLASSE, CAR UN ÉLÈVE EST RUSSE"

Cette professeure explique donc aux élèves les bases de ce conflit, l'histoire des deux pays... Les élèves sont attentifs: "On écoutait sérieusement, on posait des questions. Mais c'était un peu tendu, car la plupart des élèves défendaient l'Ukraine, et le problème c'est qu'on avait un Russe dans la classe." Un élève qui depuis est "très discriminé, certains l'embêtent à cause de son origine."

La communauté russe représente près de 2.000 personnes au Luxembourg selon le Statec (et on compte près de 1.000 Ukrainiens). Il y a donc fort à parier que dans d'autres écoles du pays, des jeunes Russes et des jeunes Ukrainiens se voient embarqués malgré eux dans ce conflit absurde.

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Les enfants peuvent être, eux aussi, très cruels. Aucun ne devrait avoir à subir d'agressions et de discriminations en raison de leurs origines. / © RTL Grafik

Pour le jeune Russe dans la classe de Léo, les ennuis commencent. "Des élèves lui disent "Sale Russe", "va't'en de notre pays", "tu n'es pas des nôtres", "tu es un traître". Et dans les couloirs, ça parle sur son dos, qu'il ne faut pas l'approcher car il est radioactif et il va nous irradier." "Des choses débiles, mais qui peuvent l'atteindre en fait, lui faire mal" déplore Léo.

Il dénonce ce harcèlement: "Franchement, ce n'est pas lui qui a décidé cette guerre. Personne ne le défend, à part par ses amis. Et les surveillants ne remarquent rien. Moi, je trouve que ce qui se passe en Ukraine, ça regarde les Russes et les Ukrainiens de là-bas, pas ceux d'ici. Ça, c'est ce que les profs ne nous disent pas en fait."

"LES ÉLÈVES ONT BESOIN D'EN PARLER"

Depuis plusieurs jours, cette guerre en Ukraine continue d'alimenter les discussions à l'école: "Certains en parlent beaucoup, souvent pour donner une opinion sur la guerre. Ce n'est pas seulement la peur, mais plutôt un débat pour savoir si ils ont raison de faire la guerre ou pas."

Léo est content que sa prof d'histoire ait pris le temps de parler de ce sujet. Elle a d'ailleurs annoncé qu'elle en discuterait régulièrement: "C'est sympa de sa part, car il y a plein d'autres profs qui refusent ce sujet. Alors qu'on sent bien que les élèves ont besoin d'en parler" Et les psychologues de l'école? "Oui, on en a plusieurs dans l'école, mais on ne les voit pas, ils interviennent plus pour les problèmes classiques à l'école."

On lui demande ce qu'il pense de cette guerre. "Ça ne sert à rien. Cela va faire que le monde va tomber. Ça va être horrible pour tout le monde. Après, je sais qu'on entend plein de choses et souvent n'importe quoi, mais voilà, même la prof nous l'a dit, la troisième guerre mondiale est possible."

* (Le prénom a été modifié)

UNE PSYCHOLOGUE RÉAGIT: "LES HARCELEURS DOIVENT RÉFLÉCHIR"

"Très franchement, ce témoignage est inquiétant" nous confie la  psychologue-psychothérapeute Catherine Verdier, fondatrice de PsyFamille au Luxembourg.

Sa première réaction vise les harceleurs: "Je leur demanderais qu'est ce qui leur permet de discriminer cet enfant comme ça! Ce n'est pas parce qu'on est Russe qu'on soutient Poutine. Et puis ensuite, les faire réfléchir un peu à ce qu'est la guerre, une frontière, un territoire, une origine, le pouvoir. On devrait les amener à une réflexion plus générale, pour qu'ils construisent par eux-mêmes leur opinion, en partant des faits."

Quant à la victime, elle "doit être protégée", bien sûr. Ce qui est en jeu, "c'est la valeur que ce jeune Russe peut s'accorder, et la fierté qu'il peut avoir par rapport à son peuple, sa culture. Son estime de soi peut être érodée."

Est-ce que l'école doit traiter une telle actualité? "Je trouve que c'est fabuleux qu'une professeure d'histoire s'empare de ce sujet. L'école est un lieu important, c'est là où les jeunes se regroupent, c'est là où beaucoup de choses se disent. Donc les adultes doivent encadrer ça, dédramatiser ça, aider à prendre de la distance."

"C'est un cas de harcèlement et de discrimination, ce n'est pas anodin, on va le retrouver dans d'autres écoles, donc oui le psychologue de l'établissement doit intervenir. On peut même se poser la question s'il ne va pas y avoir une reproduction du conflit à l'école, façon guerre des gangs" entre jeunes Russes et Ukrainiens.

"ON VA VOIR APPARAÎTRE DES PROBLÈMES DE SÉPARATION"

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Perdre ses parents à cause du covid ou de la guerre: "On va voir apparaître, je pense, beaucoup de problèmes liés à la peur de la séparation" chez les enfants, s'inquiète la psychologue Catherine Verdier. / © RTL Grafik

Décidemment, les jeunes vivent des temps difficiles. Après deux ans d'une crise sanitaire qui a déjà fait des ravages psychologiques, voilà maintenant qu'ils doivent vivre avec la menace d'une guerre en Europe. "Oui, cela fait beaucoup. A cause de la crise sanitaire, les enfants sont déjà dans un état mental peu reluisant, avec beaucoup d'anxiétés, des tocs, etc." constate-elle.

Avec cette crise en Ukraine, elle craint une nouvelle problématique: "On voit beaucoup d'images du conflit Ukrainien avec des enfants qui fuient avec leurs familles, qui sont séparés de leur père qui part combattre, etc. Dans nos pays aussi, les enfants peuvent complètement se projeter là-dedans, et on va voir apparaître, je pense, beaucoup de problèmes de séparation. Les jeunes de nos pays vont craindre eux aussi d'être brutalement séparés de leurs parents".

Cette psychologue a d'ailleurs été interviewée par le HuffingtonPost, pour donner de précieux conseils aux parents qui veulent parler du conflit aux enfants: