
Les camionnettes sont "partout, dans chaque rue. Dans un lotissement, ça passe encore, mais dans les cités, c'est catastrophique" déplore la maire d'Ottange. / © Romain Van Dyck
Audun-le-Tiche, Villerupt, Ottange, Rédange... Ces communes frontalières sont transformées en parkings gratuits pour de nombreuses camionnettes immatriculées au Luxembourg. Excédés, les maires dénoncent les nuisances, et certains annoncent même des sanctions.
Chaque soir, un flot d'utilitaires, camionnettes de chantier, et même de poids lourds, franchit la frontière. Ces encombrants véhicules sont immatriculés au Luxembourg, et pourtant ils passent la nuit en France, parqués dans les rues étroites des cités ouvrières, aux abords des nouveaux lotissements, ou au petit bonheur la chance, partout où ils trouvent une place.
À leur volant, des travailleurs frontaliers, bien contents, et on les comprends, de pouvoir se garer près de chez eux... surtout qu'ils sont encouragés par des employeurs bien contents, eux aussi, de pouvoir échapper aux coûteux parkings pour ces véhicules au Luxembourg.
Résultat, "La France devient le parking des entreprises luxembourgeoises", prévenaient déjà des maires en 2021. Et ce problème ne fait qu'empirer, témoignent à RTL les élus de quatre communes frontalières. À Audun-le-Tiche, on s'apprête même à expérimenter une mesure audacieuse...
AUDUN-LE-TICHE : "La priorité, c'est de sortir les camionnettes des zones résidentielles"
À Audun-le-Tiche, "il y a deux fois plus de véhicules que la ville ne devrait contenir. Le stationnement est devenu le problème numéro un" nous explique la maire Viviane Fattorelli.
Et en particulier le stationnement anarchique des utilitaires, camionnettes et camions arborant les "plaques jaunes" du Luxembourg. Mais la fête est finie, annonce la municipalité, qui souhaite mettre en place des cartes de stationnement résidentiel (voir dépliant ci-dessous).
Le concept est simple: les résidents de la commune vont recevoir une carte qui leur permettra de stationner dans leur zone résidentielle, durant 7 jours consécutifs maximum, un seul véhicule (celui dont l'immatriculation figurera sur la carte). Mais pas n'importe quel véhicule: seulement les véhicules légers et certains petits utilitaires.

Bref, les véhicules plus gros seront exclus du dispositif et devront rejoindre les places de stationnement sur les parkings "hors zones bleues" pour un stationnement de plus de deux heures. Libre à eux de laisser sur ces parkings leurs véhicules privés pour regagner ensuite leurs habitations.
Et si le foyer compte un second véhicule, il faudra alors débourser 90 euros/an pour obtenir une seconde vignette. "Ces 90 euros ne vont pas rapporter grand chose, le but est surtout de rendre la chose coercitive, notamment pour pousser les gens qui ont des garages à les utiliser, car on a un nombre incalculable de garages qui sont utilisés pour abriter autre chose que des voitures".
Mais il n'y aura pas de troisième vignette possible, les gens devront laisser leur troisième véhicule dans leur garage s'ils en ont un, ou sur un des parkings autorisés.
Les 1ères cartes seront délivrées le 1er avril prochain et la verbalisation des infractions se fera à partir du 1er juillet 2023.
Evidemment, si la mesure a été saluée par une partie de la population, elle a aussi suscitée une forte grogne. "C'est un sujet impopulaire, on se fait lourdement attaquer depuis qu'on a lancé notre projet. En même temps, vous n'imaginez pas le nombre de plaintes, le nombre de fois où la police intervient car une camionnette est garée devant un garage..." déplore Viviane Fattorelli.
"On sait pertinemment que si on ne fait rien, ca va être de pire en pire. Certains foyers ont deux voitures, plus une camionnette, plus une voiture de fonction, plus la voiture des enfants, tout ça garé dans les petites rues des cités. Donc on s'est dit, la priorité, c'est de sortir les camionnettes" de ces quartiers résidentiels, pour les mettre sur des parkings dédiés. Il y a notamment un projet de créer un grand parking de 350 véhicules à la place de la gare d'Audun (les trains seront bientôt remplacés par un bus à haut de niveau de service et une piste cyclable). Et il y aura toujours des parkings où on peut se garer sans disque.
Reste à savoir si la mesure produira les effets souhaités. Car les propriétaires de ces camionnettes ont un avantage de poids: ils ne craignent pas les contraventions. "On sait pertinemment que si on verbalise ces camionnettes, cela ne passera jamais la frontière" soupire la maire. En effet, en Europe, rares sont les infractions qui peuvent donner lieu à des poursuites transfrontalières. Et pour l'instant, ces stationnements gênants n'en font pas partie. Bref, les contraventions n'arrivent jamais au Luxembourg.
Mais attention, "en plus de l'amende, on va investir dans des sabots, pour immobiliser les véhicules", ce qui sera certainement plus dissuasif.
La maire est en tout cas bien décidée: "Maintenant qu'on a engagé ça, on va aller jusqu'au bout", répond-elle à ceux qui critiquent, leur reprochant de "pleurer avant même de s'être battu... On se lance, et on fera le bilan dans un an."
RÉDANGE : "On m'a traité de raciste parce que je mettais des P.V."

Une camionnette bloquant un trottoir et empiétant sur la chaussée, à Rédange... / © Romain Van Dyck
Le maire de Rédange appelle cela "des stationnements ventouses" : "Ils laissent leur camionnette du vendredi au lundi matin, voir des semaines entières lorsqu'ils partent en congés... car je pense bien que le patron est content de laisser le véhicule en France, comme ça il économise la taxe qu'il devrait payer au Luxembourg."
Il y a pourtant des zones bleues pour se garer, "mais ils s'en foutent complètement. Ils se mettent sur les trottoirs, à des endroits accidentogènes" explique Daniel Cimarelli, qui craint comme tous les autres maires qu'un jour sa responsabilité soit engagée si un piéton se fait renverser à cause d'un trottoir bloqué par ces camionnettes...
Le maire admet être totalement démuni face à ces incivilités : "Mon problème n'est pas tant de mettre des amendes, mais le fait que les Luxembourgeois, de toute façon, ne la paieront pas!" Et d'ajouter: "J'ai même des gens qui m'ont dit que j'étais raciste parce que je mettais des PV à ces véhicules luxembourgeois. C'est difficile d'être maire, moi je n'ai pas le costume de policier. À Audun, ils ont une police municipale, qui arrive avec l'uniforme et le gilet pare-balle. Moi je viens en civil, et je me fais parfois agresser verbalement... et je crains qu'un jour l'agression soit aussi physique."
Son espoir réside principalement dans la Communauté de Communes Pays Haut Val d'Alzette (CCPHVA): "J'en ai parlé à la CCPHVA, et son président mettra ce sujet à l'ordre du jour lors des prochaines rencontres entre le Luxembourg et la France, pour qu'on puisse enfin verbaliser les contrevenants luxembourgeois."
OTTANGE : "On attend de voir ce que ça va donner à Audun"

Une camionnette occupant trois places de stationnement, à Ottange... / © Romain Van Dyck
"On en a quelques uns qui sont raisonnables et qui garent leurs camionnettes sur les parkings de la ville, devant la mairie, etc, là où ça ne gène personne, mais il y en a d'autres qui n'en n'ont rien à faire. C'est partout, dans chaque rue. Dans un lotissement, ça passe encore, mais dans les cités, c'est catastrophique. L'autre jour, j'en discutais avec un maire de la Vallée de la Fensch, le problème se déplace même chez eux désormais!" nous explique Fabienne Menichetti, maire d'Ottange.
"On ne dit pas stop aux frontaliers, au contraire, car cela apporte un dynamisme à la ville, on a encore 4-5 commerces qui viennent d'ouvrir. C'est vrai que certaines personnes ne sont pas tolérantes avec les voitures qui ont des plaques jaunes, alors que si leur patron leur donnait aussi une voiture de service ils feraient pareil, c'est sûr. Mais les camionnettes, honnêtement, c'est une plaie."
La commune a pourtant investi: "Depuis que j'ai été élue en 2001, on a créé près de 600 places de parking, mais ça commence à devenir serré. On a aussi un terrain vague qui pourrait être utilisé en parking de covoiturage, sauf qu'on n'a pas les financements aujourd'hui." Et le soutien financier du Luxembourg? "J'ai été un peu déçue, car sur Thionville, ils ont reçu un soutien, mais notre dossier est toujours au ministère des transports au Luxembourg, et pour l'instant pas de réponse".
Bref, "On attend de voir ce que ça va donner à Audun. Les gens nous disent "vous n'avez qu'à les verbaliser", mais je ne peux pas le faire, c'est considéré comme un véhicule léger, s'il reste stationné là moins de 7 jours, je ne peux pas mettre d'amende! J'avais téléphoné au sous-préfet, pour demander notamment si les camionnettes peuvent être considérées comme un camping-car, c'est à dire un véhicule qui ne peut pas stationner n'importe où, mais ça ne marchera pas. En France, on a soit des véhicules légers, soit des poids lourds, alors qu'au Luxembourg, il existe une troisième catégorie, qui fait que ces véhicules encombrants doivent être stationnés sur des parkings spécifiques, et payants. Nous, on ne peut pas le faire" déplore-t-elle.
VILLERUPT: "On réfléchit à l'idée d'une vignette pour les camionnettes"

"On réfléchit à l'idée d'une vignette pour les camionnettes d'entreprises immatriculées à l'étranger" déclare le maire de Villerupt. / © Romain Van Dyck
"Ça devient infernal, on est envahis de camionnettes, surtout le soir, quand vous rentrez et que vous ne trouvez plus de place pour vous garer, ou que vous voyez une camionnette qui dépasse de tous les côtés" constate Pierrik Spizak, maire de Villerupt.
Il avait déjà poussé ce coup de gueule en 2021: "La situation n'a pas changé, je dirais même que ça a empiré", en premier lieu concernant les camionnettes de chantier, mais aussi les voitures de service.
"Il y a des cas où le mari rentre avec la camionnette de chantier, la femme avec la voiture de société, et en plus de ça ils ont leurs véhicules privés. Ca devient impossible. Ça crispe les gens, j'ai encore reçu des courriers récemment de riverains excédés".
C'est donc "un des objectifs qu'on s'est fixé cette année: comment diminuer le flux des camionnettes de chantier. C'est trop facile pour les entreprises luxembourgeoises de profiter du stationnement" de ce côté de la frontière.
D'ailleurs, "on réfléchit à l'idée d'une vignette, non pas pour l'ensemble de la population comme à Audun, mais pour les camionnettes d'entreprises immatriculées à l'étranger". La commune a aussi envisagé un parking pour accueillir ces camionnettes, mais "on manque toujours de foncier pour le construire".
Et de nuancer: "Je comprends que pour certains, rentrer avec la camionnette de chantier est un avantage, notre but n'est pas de pénaliser ces habitants", mais de remettre de l'ordre, poursuit-il, bien conscient qu'"il n'y a pas de solution idéale, il suffit de voir la polémique à Audun".